Qui sommes-nous?

Sorocty propose de publier des récits de deux types: d’une part, des récits de ce qui a conduit tel ou telle artiste à quitter son pays d’origine pour atterrir ici, en Belgique; d’autre part, des récits liés à la recherche et à l’amélioration des conditions du travail d’artiste, quand on souhaite travailler de son art pour vivre.
Ces récits ont été prononcés par les femmes artistes, une ou deux personnes de confiance au sein de Sorocity enregistrant les paroles dites, en vérifiant ensuite par une relecture rigoureuse la bonne transcription de ce qui a été raconté.
Nous parlons bien de récits, non de témoignages ou de simples déclarations.
Pourquoi ce mot de « récit » nous semble-t-il non seulement convenir, mais répondre à un besoin si fort?

W. Benjamin, dans un texte intitulé « le raconteur » nous dit que

" De plus en plus rarement, nous rencontrons des gens qui savent raconter quelque chose, au sens propre du terme. De plus en plus souvent un embarras se fait sentir à la ronde, lorsqu’on exprime le souhait d’entendre quelqu’un raconter une histoire. Tout se passe comme si une faculté qui semblait nous êtres inaliénable, évidente entre toutes, nous était désormais retirée; la faculté d’échanger des expériences."

L’affaiblissement, voire la disparition, de cette capacité au récit transmetteur d’expérience, Benjamin l’attribue à l’apparition du roman, mais plus encore à la domination d’une nouvelle forme de communication: l’information. Il oppose à juste titre les particularités de l’information- sa prétention à « une vérificabilité immédiate », sa posture
« compréhensible en elle-même », et donc autosuffisante- à la singularité du récit individuel.

Nous ferons pour notre part l’hypothèse que, si la forme du récit reste à privilégier, c’est du fait que l’échange d’expériences doit être à l’ordre du jour, qu’il s’agit d’un acte absolument nécessaire et vital, pour simplement commencer à connaitre le monde où nous vivons, et d’abord les vies des gens.
car le flux continu d’informations ne vaut pas connaissance; pour commencer à connaitre, il faut la médiation d’une pensée. Et d’abord la pensée singulière de celui qui (la) raconte.

Que ces deux régimes de parole (information et récit) soient aux antipodes l’une de l’autre, on le voit très clairement quand les journalistes prétendent faire entrer la parole des gens dans un reportage, télévisuel par exemple: celle-ci est toujours brève, coupé, subordonnée, recouverte d’explications qui lui sont étrangères.

Au contraire, dans l’histoire racontée de la vie d’artistes femmes, le temps est entre les mains de celle qui raconte, c’est elle qui décide de ce qui va être longuement décrit ou de ce qui va être survolé, à peine indiqué, voire omis.

En outre, comme le relève Benjamin, et contrairement à ce qui se passe pour le téléspectateur ou le lecteur de journal, dans le récit "[…]

le contexte psychologique de ce qui se produit n’est pas imposé au lecteur. celui-ci est laissé libre de concevoir la chose comme il l’entend, de sorte que ce qui est raconté atteint à une amplitude de résonance qui manque à l’information.

Ces récits individuels sont proposés par Sorocity non pas comme « preuve » pour une connaissance dont nous disposerions déjà, mais comme des jalons d’un travail qui commence avec la production confiante du récit qui doit se poursuivre, individuellement et collectivement.

Chacun de ces récits de vie est bien- contrairement à ce qui est mentionné dans le générique des films- l’histoire d’une personne existante. Telle que celle-ci a souhaité la rapporter à ce moment là de sa vie d’artiste femme.

Nous devons rassembler les femmes en tant qu’artistes diverses qui partagent, de manière imprévisible, leurs expériences et d’autres différences significatives […] afin de trouver réellement, pour la première fois, ce que chaque femme, dans sa singularité artistiquement signifiante, même si elle est genrée/sexuée, peut offrir au monde.

Griselda pollock, critique d’art

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